Dans la vie, j’ai plusieurs intérêts spécifiques majeurs. Deux sont très anciens, l’un datant probablement de mon enfance. Mais un intérêt spécifique, c’est quoi ? Le nom correct pour le définir, c’est « intérêts restreints ». Le terme n’est que peu employé car il sous-entend que la personne autiste ne s’intéresse pas à grand-chose. Les intérêts spécifiques, c’est l’équivalent d’une passion chez un alliste (personne non autiste, voir Glossaire). La différence se trouve dans son intensité, son caractère envahissant et le rôle qu’il joue.
📋 TL;DR : En bref
- Définition : intérêts intenses, constants, plus puissants qu’une passion.
- Rôle : refuge émotionnel et sensoriel dans un monde imprévisible.
- Intensité : omniprésents, pensées matinales et nocturnes, infodumps, heures quotidiennes.
- Mes intérêts : programmation, cinéma, Tolkien, langues, psychiatrie.
Le rôle des intérêts spécifiques
Généralement, l’intérêt spécifique occupe une très forte place dans la vie d’un autiste. Il est très envahissant — stricto sensu — et joue un rôle de régulateur émotionnel et sensoriel. Dans un monde jugé imprévisible par le concerné, la personne autiste y trouvera probablement quelque chose de constant et prévisible. Elle y passera souvent une grande part de son temps. Il n’est pas rare qu’un autiste « infodump » (action de fournir une large quantité d’informations rapidement, voir Glossaire) son entourage au sujet de son intérêt spécifique. C’est une manière de sociabiliser et partager ses connaissances autour d’un sujet qu’il maîtrise.
Ces centres d’intérêts font partie des critères diagnostiques du DSM-5 (le manuel de diagnostic et des statistiques des troubles mentaux). Toutefois, ils ne sont pas nécessaires au diagnostic. 75 à 90% de la population autistique auraient au moins un intérêt spécifique d’après Wikipédia.
Leur intensité et leur caractère parfois envahissant
Quand j’essaie d’expliquer la place qu’occupent les intérêts spécifiques chez moi, je donne une échelle de 1 à 10. J’explique qu’un hobby se situe autour de 2, une passion à 8 et que l’intérêt spécifique atteint les 12 ou 15. C’est dire à quel point j’y accorde une grande importance. Je me réveille et m’endors en pensant aux miens. J’y pense également lorsque je suis surchargé et tente coûte que coûte de retrouver une forme de lieu sûr, un espace que je maîtrise.
Mes conversations tournent majoritairement autour de mes intérêts spécifiques, si l’autre ne fait pas l’effort de parler de lui ou d’évoquer un sujet qui m’intéresse. Non pas car j’aime parler de moi mais car c’est la seule méthode d’interaction que je connais. C’est plus ou moins fonctionnel, donnant la sensation que je peux être égocentrique alors que je suis tout ouïe à ce qu’a à me dire mon entourage. Auto-centré, c’est le terme correct. Cela signifie que je suis avant tout centré sur mon monde intérieur ; là où égocentrique signifie que la personne pense être le centre du monde.
Un peu de sciences vulgarisées
Dans le monde social, je me perds souvent et le navigue avec difficultés. C’est normal : le cerveau des allistes est quasi façonné pour fonctionner socialement. Le cerveau des autistes est lui, façonné pour la collecte de données. Ce qui le rend souvent expert dans ses intérêts spécifiques.
Sur le plan scientifique, il faut savoir que chez les autistes, des études suggèrent des altérations dans le circuit dopaminergique de la récompense. Il s’activerait lorsque la personne autiste s’adonne à son intérêt spécifique. L’intérêt libère une forte masse de dopamine. C’est pourquoi l’intérêt spécifique semble si omniprésent dans la vie d’une personne autiste.
Mes intérêts spécifiques
Avec le temps, j’ai développé plusieurs intérêts spécifiques. Certains sont cependant présents de longue date, jusqu’à ma petite enfance. En voici quelques uns, avant d’en parler plus en profondeur dans de futurs articles (notamment ceux que je n’aborde pas).
Un développeur expert avant mes 18 ans

Le code comme première langue
Mon plus ancien intérêt spécifique, c’est le cinéma, mais celui dont je vais d’abord parler, c’est la programmation. Quand j’en parle, je parle d’informatique, mais c’est incorrect car je suis parfaitement incapable de monter un ordinateur et me débrouille à peine en lignes de commande. La programmation, en revanche, m’a parlé naturellement très tôt. Jusqu’à faire de moi un développeur de métier. C’est à 11 ans que j’ai produit mes premiers sites internet, basiques. Mais très vite, j’ai eu la sensation de parler le code mieux que n’importe quelle langue. La programmation ayant un côté prévisible et déterminé, cela semblait logique.
En quelques années, surprenant toujours plus mon entourage, je suis devenu capable de produire des sites très complexes, d’expliquer des concepts aux autres et de débugguer du code d’autres personnes. Je parlais le code mieux que n’importe quelle langue. Et je m’amusais à le corriger, l’optimiser toujours plus. J’apprenais par moi-même en lisant des bouts de code, sans me préoccuper des explications. De programmer des sites internet, je suis passé à des langages plus complexes et à devenir un pro du débuggage, au point d’y prendre du plaisir. En entreprise, j’ai donc souvent eu une forte longueur d’avance et pris beaucoup d’initiatives.
Un intérêt extrêmement envahissant
Pour en décrire l’intensité, je me suis retrouvé une fois pendant une semaine, incluant le week-end, à programmer quasiment 19 heures par jour, oubliant de manger et dormant à peine, sans que je ne me sente fatigué. Car l’intérêt spécifique à cette capacité à stimuler la personne autiste, là où n’importe quel alliste aurait probablement fait un burn-out. Certaines recherches confirment que les personnes autistes peuvent investir une grande part de leur temps dans leurs intérêts spécifiques, au détriment parfois du sommeil et de l’alimentation. En autre indicatif, j’ai procédé à calculer le temps passé avant mes 18 ans à avoir programmé et obtenu un chiffre entre 10 000 et 17 000 heures, ce qui correspond à environ 6 années de travail à plein temps. Cela paraît improbable mais je passais toutes mes soirées et tous mes week-ends à programmer ; et j’ai vécu mon premier épisode maniaque à 16 ans, où mon temps passé à coder a explosé, ne dormant presque plus.
Aujourd’hui, je fais régulièrement des pauses, ayant l’impression d’en avoir fait le tour, mais l’intérêt spécifique est toujours dans ma tête, visualisant régulièrement des bouts de code pour m’apaiser. Quand je dis à quelqu’un que je suis développeur, il me demande souvent en quoi je code. Voilà donc la liste de langages que je maîtrise presque tous au même niveau, dans l’ordre d’apprentissage : PHP, SQL, Javascript, C, Python, Java, C++ et Kotlin.
Le cinéma comme plus ancien intérêt spécifique

La genèse
Outre les sciences diverses et variées, l’espace et l’Univers, l’intérêt spécifique qui a bercé ma vie, c’est le cinéma. Il a changé quelques fois de forme. Mais j’ai des souvenirs très vifs de films vus dans l’enfance, notamment le premier Harry Potter au cinéma, pendant des vacances au ski, qui m’avait fait très peur d’ailleurs. Ensuite, je suis devenu d’abord accroc aux registres de la science-fiction et de la fantasy avant d’élargir mon spectre à l’ensemble du cinéma, des films d’auteur aux blockbusters. À cette période, je m’intéressais énormément aux chiffres du box-office, aux statistiques, aux anecdotes et aux techniques de tournage. J’allais jusqu’à connaître les chiffres mondiaux, américains, et les entrées en France.
Le cinéma comme havre de paix
En arrivant en France métropolitaine, j’ai commencé à passer mon temps au cinéma, allant voir des dizaines de films au cinéma chaque année, qui était devenu mon havre de paix. J’ai fini par me procurer une carte illimitée et avoir passé une dizaine d’heures à référencer l’ensemble des films que j’avais vus sur SensCritique et Trakt. J’en faisais des listes, des collections et des statistiques en tout genre.
L’intégration des séries comme œuvres cinématographiques
Les séries sont progressivement entrées dans cet intérêt spécifique, car plus j’en regardais, plus je me focalisais sur celles que j’estimais entrer dans ce cadre. J’en ai alors regardé 232. J’éliminais de plus en plus de chaînes dont je jugeais la qualité de production trop mauvaise ou trop risquée (une série étant très chronophage). Jusqu’à ce que je restreigne mes visionnages aux productions de deux chaînes, HBO et Apple TV+. J’ai banni Netflix, dont je juge la politique de « quantity over quality » très nocive pour le cinéma et le télévisuel. Aujourd’hui, je ne regarde donc presque plus de séries, attends d’en voir les critiques puis me lance si elles me semblent suffisamment encourageantes.
Un intérêt devenu progressivement plus superficiel
Côté cinéma, j’ai, les dernières années, moins pris le temps de me renseigner autour des films. L’intérêt est devenu plus « superficiel » dans le sens où je me contentais de regarder des films en masse et m’en faire mon propre avis, voir à en écrire une critique amateur si j’en avais l’envie. J’en partagerai peut-être ici quelques-unes tant ça a fait partie intégrante de mon intérêt.
Le déclin de mon intérêt pour les salles
Et encore plus récemment, je suis allé de moins en moins au cinéma. Pas forcément par désintérêt mais plutôt parce que je suis devenu de plus en plus intolérant à un public toujours moins respectueux. J’ai résilié mon abonnement illimité, signant la fin de mon attrait pour les salles de cinéma, en gardant une liste de genres et de réalisateurs pour lesquels je ferai l’effort de me rendre au cinéma. Le dernier en date sortait de l’univers de John Wick, Ballerina, et le prochain sera Avatar: Fire and Ash, vouant un culte à cet univers à la mise en scène léchée et à la 3D unique.
Quelques infos en vrac
Chiffres : En 2016, j’ai battu mon record personnel avec 84 films vus au cinéma, dont 35 rien qu’en octobre (1,13 film par jour). Au total, j’en ai vu plus de 600 au cinéma, avec un ratio de presque 1/3 de tous mes films vus en salles obscures (1968 films au total).
Critères de sélection :
- Ce que je regarde :
- Certains cinéastes (Spielberg, Scorsese, Nolan, Dupieux, Dumont et quelques autres)
- Certains films de genre (science-fiction, fantasy)
- Certaines sagas (Avatar, The Batman (pour l’instant), Alien)
- Les productions HBO et Apple TV+ aux bonnes critiques
- Ce que je rejette :
- Toute production Netflix
- Toute production de Disney à l’exception de Pixar et d’Avatar (Marvel Studios est donc rayé de ma liste)
- Toute série notée moins de 7 sur SensCritique (car sinon je regarde tout)
Mes rituels de visionnage annuel :
- Star Wars, généralement autour du 4 mai (May the 4th (May the force)), seulement les 6 premiers épisodes qui ont marqué le cinéma
- La première trilogie Spider-Man de Sam Raimi
- La trilogie Back to the Future de Robert Zemeckis
- Les films Avatar de James Cameron
- La saga John Wick de Chad Stahelski
- La trilogie Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson qui illustre même mon intérêt spécifique pour…
La saga de Tolkien

En quelques mots, mon intérêt spécifique le plus récent, qui découle des films de Peter Jackson et qui m’a finalement décidé à me lancer dans la lecture des ouvrages de l’auteur, dans l’ordre chronologique. Je suis en pleine lecture du Seigneur des Anneaux, et même mon mode vestimentaire en traduit à quel point l’univers, pourtant tout neuf, tient une forte place dans mon esprit.
Ayant toujours porté un collier depuis une dizaine d’années, certains s’étant brisés (à mon plus grand désarroi), c’est l’Anneau Unique de Sauron qui s’est finalement retrouvé suspendu à mon cou lorsque ma tortue de mer s’est brisée et perdue. Un de mes stims consiste à prendre le collier et faire tournoyer le pendentif/l’anneau, c’est pourquoi je ne m’en passe jamais et ne l’enlève jamais de mon cou. Plus récemment, j’ai acheté un livre pour apprendre le quenya, autrement dit le Haut-Elfique de Tolkien, une langue extrêmement riche avec des centaines de mots définis. Ce qui m’amène au quatrième intérêt spécifique.
Les langues

Mon attrait pour les spécificités des langues
Celui-ci est plus subtil car je ne me suis même pas dit que c’en était un avant de le réaliser lors d’un stage de ski cette année. Mais compte tenu de ma faculté à apprendre très vite, et surtout à me passionner pour les spécificités des langues, il semblait évident que c’en était un majeur. J’ai d’ailleurs appris à lire à l’âge normal, mais beaucoup plus rapidement que mes pairs. Ma grande sœur me faisait la lecture d’Harry Potter, avant que je ne la termine seule avant la fin du CP. Je me suis alors mis à lire beaucoup de livres et à exceller en français pendant toute ma scolarité, une professeure s’étant même faite mission de me faire échouer à avoir 20 à ses dictées, en classe de cinquième.
Quand une professeure m’a rendu amoureux de l’anglais
Au collège, on a commencé à apprendre l’anglais. Et, si j’étais doué, j’étais surtout aidé par une professeure aux techniques… particulières. Elle était connue de toute l’île de la Guadeloupe pour ses méthodes d’apprentissage qui ne respectaient pas celles de l’éducation nationale. C’est pourtant avec ses méthodes que moi et le reste de la classe avons développé un niveau très supérieur à celui de lycéens alors qu’on était en sixième. Dès cette classe, on maîtrisait des subtilités qui mettent en difficulté les Anglais eux-mêmes. On travaillait aussi énormément à l’oral, développant de très fortes compétences comme à l’écrit. Elle m’a suivi en cinquième puis en troisième et j’ai poursuivi le développement de mes compétences en regardant des films — les autres professeurs que j’ai eus ayant nivélé par le bas leur apprentissage.
Le trouble bipolaire, l’autisme et la psychiatrie

Pour finir, l’intérêt spécifique sur lequel j’ai passé également énormément de temps est la psychiatrie. Je l’élargis à ce terme car mes connaissances sont très vastes sur le trouble bipolaire et l’autisme mais j’ai aussi beaucoup de connaissances sur quelques autres sujets de psychiatrie.
Je m’arrêterai sur cette description de l’intérêt, puisque j’en reparlerai tout au long du blog : il a consisté en la lecture de centaines d’articles sur chacun de ces sujets, que ce soit de la vulgarisation, des articles plus détaillés ou même des études scientifiques ; de sorte que je parlerai régulièrement de ces études pour expliquer des concepts ou donner des statistiques, qui me fascinent — comme vous l’aurez remarqué — autant que celles dans le cinéma.
Ces intérêts qui me bercent et me régulent
Tous ces intérêts sont ce qui m’obnubilent le plus dans ma vie. Ils intègrent toutes mes sphères :
- sociale : il ne faut pas plus qu’évoquer un mot clé relatif à mon intérêt pour me lancer dans un long monologue. Il ne cessera que lorsque j’aurai estimé avoir épuisé toutes les informations que j’avais à lâcher à mon interlocuteur. Un simple blanc dans une conversation suffira aussi comme déclencheur pour me lancer
- professionnelle : j’ai suivi un cursus en informatique après le lycée et je travaille en tant que développeur
- émotionnelle : je me replierai sur l’un de ces intérêts pour me réguler
- sensorielle : armé de mon casque et de mes lunettes de soleil, ces intérêts serviront aussi comme régulateur sensoriel
Si j’étais forcé à arrêter l’un de ces intérêts, ce serait comme en faire le deuil d’un être vivant. De votre côté, à quoi vous intéressez-vous ? Qu’est-ce qui vous passionne ?

