J’ai déjà évoqué les cinq sens principaux (ouïe, vue, toucher, odorat, goût), le corps humain en dispose de plusieurs autres, notamment quatre : le système vestibulaire, la proprioception, la nociception et la thermoception. Ce dernier, vous le connaissez bien : c’est celui responsable de vous transformer en flacon l’hiver et d’être une marmite l’été. Chez les personnes autistes, ils sont souvent altérés de la même manière que les cinq principaux. Ces sens dits invisibles façonnent pourtant notre quotidien. Quand ils sont atypiques, comme c’est souvent le cas dans l’autisme, cela peut transformer des expériences banales en véritables montagnes russes.
📋 TL;DR : Mes sensibilités sensorielles en bref
- Proprioception : maladresse (casse, chocs), câlins serrés apaisants.
- Vestibulaire : mal de mer et vertiges, mais recherche de sensations fortes.
- Nociception : effleurements douloureux, blessures parfois imperceptibles.
- Thermoception : insensibilité au froid, mais douches brûlantes et chaleur bien tolérée.
- Interoception : faim et soif peu perçues, rythme cardiaque difficile à sentir.
🚶 La proprioception
Ce sens (souvent qualifié de sixième sens) nous permet de savoir où se trouve notre corps dans l’espace, sans avoir besoin de le regarder.
Un peu de sciences
Ce sens nous permet de savoir où se trouve notre corps dans l’espace, sans avoir besoin de le regarder. Il repose sur des récepteurs mécanosensoriels situés dans les muscles, les tendons et les articulations (voir Wikipédia). Ils détectent alors les mouvements, les étirements et la position. Ils sont intégrés à la vision et au système vestibulaire (sens de l’équilibre). Les données remontées par les récepteurs construisent en fait une carte interne du corps en mouvement.

Et moi dans tout ça ?
Dans l’autisme, on voit souvent des similitudes dans la manière dont la proprioception est atypique. On constate par exemple souvent une maladresse. Je perçois également fortement la texture de certains aliments (notamment les viandes ou poissons quels qu’ils soient) ce qui rend la mastication insupportable (et qui rend aller au restaurant compliqué dans un pays où un menu sans viande est quasi inexistant). J’y suis principalement hyposensible. Si j’essaie de me toucher le nez les yeux fermés, c’est certain que je me touche l’oeil ou la bouche. Je casse régulièrement de la vaisselle, fais tomber des objets. Je suis d’ailleurs dyspraxique, ce qui est fortement alimenté par une proprioception défaillante. À côté de ça, j’ai mentionné le fait d’apprécier les câlins uniquement s’ils sont serrés et c’en est une autre démonstration de manque sensoriel et donc de recherche de pression pour activer les récepteurs.

Certaines de ces particularités sont également liées à des hyposensibilités au système vestibulaire.
🎢 Le système vestibulaire
C’est notre sens qui régule notre équilibre et notre perception de nos mouvements. Il se situe dans notre oreille interne. Ce qui vous rend malade en voiture dans une route sinueuse ou en bateau en mer agitée, c’est le système vestibulaire.
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Il est lié à la cochlée (organe de l’audition) et c’est pourquoi un problème auditif ou une otite peuvent affecter ce sens (voir Inserm — Tests d’audition et vertiges). Il est constitué de deux récepteurs sensoriels :
- les canaux semi-circulaires, qui détectent les mouvements angulatoires et rotatifs de la tête
- Les organes otolithiques, qui détectent les mouvements linéaires (accélération d’une voiture) et la gravité
Des cellules se chargent de transformer les informations reçues par ces récepteurs en signaux électriques pour les intégrer à la vision et à la proprioception. En cas de dysfonctionnement, ils peuvent entraîner divers troubles comme des vertiges ou des mouvements involontaires des yeux. Pour ne pas alourdir l’article, j’en resterai à ces explications.

Et moi dans tout ça ?
Quand j’étais plus jeune, j’étais souvent très malade en voiture. Ayant fait mon adolescence en Guadeloupe sur Basse-Terre (la partie Ouest montagneuse de l’île), c’était souvent un calvaire. On se rendait aussi de temps en temps sur l’une des îles de l’archipel (Les Saintes) qui requérait une heure de bateau. Voyage systématiquement effectué sur l’étage du bateau pour rester à l’air libre et vomi assuré à la descente. Même lorsque la mer était calme.
En fait, plus le bateau était gros et plus j’étais malade. C’est contre-intuitif mais ça s’explique simplement : ce qui provoque le mal de mer, c’est un désaccord entre le vestibulaire (l’accélération), la vision (qui perçoit un horizon stable) et la proprioception (qui me dit être immobile). Le signal est perçu comme toxique et provoque le mal de mer.
J’avais aussi des problèmes en avion régulièrement. Depuis, je suis systématiquement équipé de sacs pour me parer à toute éventualité, même si je me suis désensibilisé avec le temps.

À l’inverse, je suis pourtant souvent à la recherche de stimulations vestibulaires. J’adore les montagnes russes, surtout celles à sensations très fortes, je marche si vite qu’on me croirait en mission (ce qui me force à ralentir lorsque je suis accompagné) et je me balance presque tout le temps. Je simule aussi mentalement beaucoup de scènes en mouvement, preuve que je recherche activement du mouvement.
⚡ La nociception
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Sans entrer complètement dans les détails, il s’agit là du processus par lequel le système nerveux détecte des stimuli dommageables pour le corps (une brûlure, une blessure). À ne pas confondre avec la douleur qui découle en fait du traitement par le cerveau des signaux d’alerte transmis par les nocicepteurs. Ils sont présents dans la peau, les muscles et les articulations. Les nocicepteurs sont responsables de l’analyse de la localisation et de l’intensité du stimulus puis ajoutent la réponse émotionnelle désagréable de la douleur. C’est aussi la nociception qui active les réflexes de protection (enlever sa main d’une zone brûlante). ScienceDirect l’aborde pour mes lecteurs les plus scientifiques.
Et moi dans tout ça ?
Comme dans les deux précédents sens, on repère souvent des atypicités liées à la nociception dans l’autisme, notamment une hyposensibilité. C’est en tout cas ce qu’a montré la recherche pendant des années. Certaines études évoquent plutôt le contraire : une hypersensibilité à la douleur mais moins visible à cause du mode d’expression atypique des personnes autistes. Parfois, cette sensibilité évolue ou varie en fonction des parties du corps. J’ai des souvenirs horrifiques d’otites qui m’affectaient très régulièrement enfant tout en pouvant me blesser en rollers sans le remarquer. C’est la même chose pour une griffure. En revanche, les tests PCR (que j’ai dû faire beaucoup de fois à cause d’hospitalisations) me mettent en alerte générale tant je redoute la douleur qu’ils génèrent et qui persiste chez moi plus que chez mes amis allistes.


Je ressens aussi un effleurement comme une véritable intrusion et douleur (notamment sur certaines parties du corps comme les jambes, le bas du torse) alors que, paradoxalement, j’ai frappé des murs pendant longtemps lorsque j’étais en plein meltdown — crise autistique —, signe que je cherchais un stimulus intense et contrôlé pour ressentir quelque chose. Je reviendrai dans un futur article sur ces crises mais la douleur du poing dans le mur ne m’était plus supportable que l’intensité de la crise. C’était ma manière d’extérioriser.
🌡️ La thermoception
Et finalement, quelques mots sur le sens responsable du ressenti de la température.
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Alors que la nociception alerte d’un potentiel danger, la thermoception ne fait que fournir au cerveau des informations sur son environnement thermique à des fins d’adaptation (ScienceDirect — Thermoception). C’est ce qui permet de détecter le besoin de mettre un pull ou se couvrir, et de se protéger de la chaleur. Plus physiquement, grâce à la thermoception, le cerveau ajuste la transpiration, la circulation sanguine et les frissons pour maintenir sa température corporelle. Ce qui se complique dans les températures extrêmes. La thermoception n’intègre que les ressentis non douloureux. Dès qu’on passe le seuil de nocivité, c’est la nociception qui est concernée.
Et moi dans tout ça ?
Dans mon cas, je suis principalement hyposensible à la thermoception. Ça n’a pas toujours été le cas. Ma tolérance à la chaleur, élevée, est restée constante avec le temps. J’ai toujours pris et prends encore des douches ou des bains très chauds, si chauds que ça surprend souvent ceux qui passent après moi qui les qualifient de brûlants (ma famille en a payé les frais longtemps). Vivre en Guadeloupe ou dans des climats très chauds et humides ne m’est absolument pas problématique.

Au contraire, mon rapport au froid a évolué, surtout à cause de mon burn-out autistique. Arriver à Paris après avoir vécu 12 ans dans un environnement à plus de 18 degrés toute l’année a été très compliqué. J’étais si sensible que j’étais frigorifié à des températures auxquelles les Parisiens étaient habitués. Ajoutez à ça la difficulté à percevoir le moment où l’on doit commencer à utiliser un manteau, vous obtenez un sacré cocktail pour me transformer en glaçon sur pattes.
Le burn-out a eu pour conséquence de drastiquement changer ce rapport au froid : je peux maintenant sortir à moins de 10 degrés en t-shirt sans me rendre compte du froid ambiant. Et comme je marche vite, j’ai un feedback proprioceptif et vestibulaire qui suffit à me stimuler assez pour me réchauffer. Si je ne ressens pas le froid, mon corps en subit bien les conséquences (tremblements, nez qui coule, etc.). Je regarde donc la météo avant de sortir et me couvre en conséquence (SI température < 15 = pull, SI température < 5 = manteau). C’est habituellement fonctionnel même si la fatigue peut affecter ma sensibilité et rendre défaillant mon système.

Le burn-out n’a eu comme effet que de me rendre particulièrement hyposensible au froid. Les autres sens que je viens d’évoquer n’ont pas été affectés (ou alors je ne l’ai pas remarqué pour le moment). En revanche, mes épisodes bipolaires influencent nettement plus chacun de ces sens et j’en parlerai donc plus tard dans un article pour alléger celui-ci.
❤️ Et l’interoception ?
Quelques mots sur ce sens qui permet de percevoir les signaux internes du corps, avec des mécanismes qui modulent en temps réel notre seuil de perception, comme l’a étudié l’Université de Genève. Il est parfois aussi affecté dans l’autisme. C’est mon cas où j’y suis sur certains points hyposensible. C’est le sens qui permet d’identifier les battements de son cœur, la faim ou la soif. Autant de sensations qui me font défaut : ressentir mon cœur battre plus vite que la normale — pour identifier l’anxiété par exemple —, impossible. Je ressens aussi moins la nécessité de manger et dois me forcer à boire régulièrement, notamment l’été où je ne ressens ni la chaleur ni le besoin de boire amplifié.
TL;DR : Mes sensibilités sensorielles
🚶 Proprioception :
- Hypersensibilités :
- Mastication des viandes, poissons, fruits de mer : insupportable, rejetés
- Maintenir la même position debout : difficile, changements de position constants
- Hyposensibilités :
- Dyspraxie :
- Maladresse :
- Je fais souvent tomber des objets
- Je renverse des bouteilles
- Je casse de la vaisselle
- Je me cogne dans les meubles ou même les murs
- Maladresse :
- Gestes fins (écriture, ciseaux) : difficultés
- Câlins serrés : recherchés pour la pression
- Couverture lestée (couverture quadrillée dans laquelle on met souvent de petites billes de verre pour l’alourdir) : apaisante
- Toucher mon nez avec mon index, yeux fermés : impossible
- Dyspraxie :
🎢 Système vestibulaire :
- Hypersensibilités :
- Mal de mer, voiture, avion
- Marcher sur un sol instable : affolant
- Hauteurs : fort inconfort
- Marcher dans le noir : absence de vision, déséquilibre
- Hyposensibilités :
- Montagnes russes : euphorie
- Balancements de gauche à droite : constants
- Marcher vite comme être en « mission »
- Simuler des scènes avec mouvements : détente
- Grimper dans les arbres : sensation agréable
⚡ Nociception :
- Hypersensibilités :
- Caresses sur certaines parties du corps : douloureuses
- Effleurements : agressifs
- Dentiste (souvent malgré forte dose d’anesthésiants) : horreur
- Otites (et outils pour laver l’oreille) : extrêmement douloureuses
- Hyposensibilités :
- Griffure, coupure : imperceptibles
- Blessure au sport : imperceptibles, repérées tardivement
- Me frapper la tête avec les mains : régulation sensorielle en meltdown
🌡️ Thermoception :
- Hypersensibilités :
- Eau froide sur le corps : quasi douloureuse, fuie (sans eau chaude chez moi, je peux passer plusieurs jours sans me doucher (je me force en ce moment à l’écriture de cet article))
- Hyposensibilités :
- Environnements très chauds : recherchés
- Environnements très froids : pas remarqués, oubli de se couvrir
- Eau brûlante : remarquée tardivement
- Douche presque brûlante : apaisante

