Moi en train de stimmer

Les stéréotypies, ce sont ces mouvements ou sons qui paraissent souvent comme des tics pour l’œil non averti. Pourtant, ils sont très différents. Dans leur manifestation, et dans leur rôle. Ils sont réguliers, répétitifs, rythmés et sans but apparent. « Apparent », c’est la clé. Ils jouent en réalité un rôle de régulation sensorielle et émotionnelle. En un mot, ils sont essentiels à la vie de la personne autiste. Dans le jargon autistique, on parle souvent de stim. C’est la version autistique de stéréotypie, plus médicale et connotée négativement.

📋 TL;DR : Mes stims en bref

  • Tactile : caresser le contour de l’ongle, jouer avec mon collier, appuyer fort avec mes doigts.
  • Visuel : aligner des objets, fixer des patterns, observer la poussière dans un rayon de soleil, simuler des scènes.
  • Auditif : fredonner, écouter en boucle, claquer ma langue, répéter des phrases pour leur musicalité.
  • Oral/Gustatif : mâcher du sel, mordiller des objets, mettre mon collier en bouche.
  • Olfactif : respirer à la station essence, rechercher certaines odeurs corporelles agréables.
  • Proprioceptif : balancements, pressions fortes, câlins serrés, contractions musculaires.
  • Vestibulaire : tourner en rond, marcher vite, sautiller quand je suis joyeux.
  • Cognitif : trier mes fichiers ou mes photos pendant des heures → régulation mentale
Représentation des sens

La différence avec les tics

Les stéréotypies apparaissent dès la petite enfance, souvent dans les 24 premiers mois. Selon une étude (PMC), dans 80% des cas, ils apparaissent avant l’âge de 2 ans. Les tics, qui apparaissent plutôt tardivement, sont au contraire soudains, irréguliers et non rythmiques (DSM-5). Les tics sont communément trouvés dans la population alliste alors que le stimming — effectuer une stéréotypie — est spécifique aux autistes. Ils sont souvent perçus comme apaisants et agréables. À titre d’exemple (avant de vous envahir de ma liste de stims), je caresse le tour de l’ongle de mon pouce avec mon index à longueur de journée et la sensation de glissement de l’index m’est absolument magique. Cela me calme en cas de surcharge et me stimule lorsque je regarde un film ou travaille.

Les stims sont souvent partiellement inconscients (ils me le sont jusqu’au moment où je les remarque). Pour terminer d’en faire la distinction avec les tics, ces derniers sont habituellement accompagnés d’un besoin urgent, une gêne, qui ne se soulage qu’à l’exécution du tic (j’en ai quelques-uns également et peux en attester leur caractère quasi insupportable). Réprimer un tic est souvent suivi d’une sorte de pression interne difficile à contenir.

Le stimming, au contraire, peut généralement être arrêté, même si cela générera probablement un inconfort chez la personne autiste. Qu’est-ce alors que le stimming est quel rôle joue-t-il ?

Le rôle du stimming

Le rôle biologique du stimming 

M’empêcher de stimmer, c’est comme me priver d’exprimer une partie de moi, un besoin tout aussi primaire que celui de manger. C’est biologique. D’ailleurs, je me souviens avoir expliqué que mon père m’avait fait remarquer que gigoter mes doigts en écoutant de la musique était bizarre et j’avais ressenti le besoin de le masquer. Elle m’avait demandé ce que j’avais ressenti et j’avais simplement répondu : « horrible, mais d’autres plus discrets ont pris la relève ».

Chassez le naturel, il revient au galop. En fait, quand je parle de régulation sensorielle, le rôle de la stéréotypie est double : compenser un manque sensoriel, ou neutraliser son excès. Cela explique pourquoi se balancer dans un environnement bruyant n’ajoute pas une stimulation en plus mais la réduit (même si ça semble paradoxal). Je parle plus en profondeur des sensibilités sensorielles ici.

Lorsque l’anxiété augmente, à la manière de quelqu’un qui tape du pied, les stéréotypies s’intensifient. C’est normal, car la recherche a montré que les stéréotypies activent les circuits dopaminergiques (Frontiers in Neuroscience — Motor Stereotypies). En gros, elles libèrent de la dopamine — hormone de la récompense — en masse.

Et pour les scientifiques les plus guerriers d’entre-vous, elles impliquent aussi, d’après les récentes études, les circuiteries fronto-striatales (régulation motrice et émotionnelle). Elles agissent aussi sur l’attention, c’est commun de voir une personne autiste stimmer lors d’une activité ou lorsqu’elle travaille.

Balance sensorielle

Un mode de communication à part entière

L’autisme implique des déficits dans la communication non verbale et paradoxalement le fait de stimmer peut devenir un mode d’expression non verbale. On pense souvent au hand flapping (battre des mains) lorsqu’une personne autiste est heureuse, ou sautiller sur place pour remplir la même fonction. Le stim agit alors comme régulateur d’une émotion peut-être trop intense et comme expression de cette émotion.

Lorsque j’ai fait tomber mon masque, je me suis surpris à stimmer lorsque je ressentais de fortes émotions, certains stims ayant seulement ressurgi après les avoir bloqués au long de mon adolescence. Les retrouver petit à petit, c’était comme retrouver une part de moi-même.

Quelques conseils pour les proches

Il faut retenir de tout ça qu’il ne faut pas forcer la personne autiste à arrêter de stimmer. Dans le cas où elle serait destructrice (comme se frapper la tête avec les mains en pleine crise (c’est mon cas)), il est préférable d’aider la personne concernée à trouver des alternatives.

L’idéal est avant tout de comprendre le stim avant d’en porter un jugement. Finalement, c’est souvent tout ce que l’on demande : une plus grande compréhension. Il convient aussi de favoriser un environnement où le stim est accepté (et non toléré qui sous-entend de l’endurer). L’accepter, c’est reconnaître son caractère identitaire. Tout ça montre que les stims ne sont pas seulement un comportement médicalement décrit. Ils sont une partie intégrante de mon identité.

Les nier ou les réprimer, c’est nier une partie de qui je suis. C’est pour ça qu’au-delà de la régulation sensorielle, il y a une dimension politique : le droit au stim. Rien de tel que quelques exemples qui parleront mieux qu’une longue explication académique, donc en voici quelques-uns.

Mes stims

J’en ai beaucoup, la plupart servent de régulation sensorielle. Certains se manifestent lorsque je suis envahi par une émotion, ils servent alors de régulateur émotionnel mais sont toujours intrinsèquement liés au sensoriel.

Mes stims sensoriels

C’est ceux qui sont revenus le plus vite avec mon premier burn-out autistique puis avec l’unmasking. Mais certains se sont maintenus depuis mon enfance, ceux assez discrets pour ne pas « gêner » les autres. Ils m’aident à réguler le flux de stimuli sensoriels qui m’accablent quotidiennement dès que je sors de chez moi ou à combler le manque de stimuli sensoriels.

Particules de poussière dans un rayon de soleil
Particules de poussière dans un rayon de soleil

TL;DR : Mes stims classés

👇🏻 Tactile :

  • Caresser le contour de l’ongle de mon pouce, le plus agréable et satisfaisant
  • Tenir mon collier et faire tournoyer le pendentif (aide à la concentration)
  • Appuyer mes ongles sur mon pouce
  • Le finger flicking (comme on taperait dans une bille, doigt après doigt)…
  • et son alternative : tapoter mes doigts un à un avec mon pouce en rythme avec la musique (aussi un jeu pour suivre le tempo parfaitement)
  • Joindre mes mains puis les décoller en boucle

👁️ Visuel :

  • Alignement d’objets (table, comptoir, étagères)
  • Fixer des patterns répétitifs (carrelage, mes cartes posters de cinéma accrochés sur mon mur)
  • Observer les particules de poussière dans un rayon de soleil
  • Simuler des scènes mentalement (simulation interne visuelle)

👂🏻 Verbal/Auditif :

  • Clapper ma langue en rythme avec la musique
  • Fredonner avec ou sans musique environnante
  • Écouter en boucle les mêmes morceaux 
  • Visionnage en boucle de bandes-annonces pour la musique
  • Répéter une phrase d’un film si sa musicalité me plaît (forme d’écholalie)

👄 Oral/Gustatif :

  • Manger du gros sel
  • Quand j’étais petit, en rentrant de la plage, je mordillais ma ceinture dans la voiture car elle avait le goût de l’eau de mer, salée.
  • Mettre mon collier dans ma bouche et faire tournoyer le pendentif (aussi visuel et proprioceptif) pour en sentir le goût métallique

👃🏻 Olfactif :

  • Respirer fort dans les stations-essence
  • Sentir les odeurs corporelles agréables
  • Sentir l’odeur du cuir (certains de mes blu-rays de collection en sont faits)
  • Sentir les vieux livres
  • Odeur de la colle ou des dissolvants
  • Mettre de l’encens de temps en temps

🚶 Proprioceptif :

  • Le balancement de gauche à droite
  • Position assise contractée
  • Câlins serrés
  • Étirements ou contractions musculaires
  • Gigoter mes doigts lorsque je suis très mal à l’aise (aussi visuel)
  • Le balancement d’avant en arrière intensif quand anxieux
  • Battre des jambes (quand je suis joyeux/ému) + clapper les mains (quand je le suis très), accompagnés d’un sourire béat et de yeux embués
  • Sautiller sur place (quand joyeux mais debout)
  • Me frapper la tête des deux mains lors d’un meltdown (crise autistique). Celui-ci sert à extérioriser un trop plein émotionnel. 

🎢 Vestibulaire :

  • Tourner en rond lors d’appels téléphoniques ou lorsque je me brosse les dents
  • Marcher vite dans la rue
  • Me basculer sur une chaise (recherche de micro-perte d’équilibre)

Dans un contexte où je suis alexithymique (difficulté à identifier et comprendre ses émotions), je me fie maintenant à mes stims pour m’aider à identifier une émotion.

Et le stimming cognitif ?

C’est l’un de ceux que j’ai mis le plus de temps à identifier alors qu’il était déjà un peu louche. Il m’arrive de prendre beaucoup de temps pour faire du tri dans mes fichiers ou mes photos. J’ai ainsi classé tous mes fichiers dans mon cloud avec un nommage précis. Le tout m’avait pris environ 7 heures de travail sur tout un après-midi et j’étais ravi de le faire. 

De la même manière, cette année, j’ai sur deux jours décidé de trier toutes mes photos sur mon cloud (pour me détendre et réduire mon empreinte carbone (alors que c’était dérisoire)). J’ai supprimé environ 1500 photos sur les 3000 que j’avais. Et en plus de les trier, je les ai parcourues une à une pour identifier les visages manquants et ajouter les localisations manquantes. 

Et après ça, j’ai décidé de télécharger littéralement tous les documents administratifs, médicaux, factures quelconques, ordonnances, sur mon cloud. Je me préparais à toute éventualité où un document se retrouverait utile (une facture mobile de février 2016 ne l’est probablement pas, je vous l’accorde, mais elle n’y a pas fait exception).

Je me suis d’ailleurs trouvé dans l’embarras en constatant que j’avais téléchargé toutes mes factures mobiles jusqu’en avril 2020, arrêté, puis dans l’impossibilité de télécharger les factures pré-mai 2023 (indisponibles sur le site). C’est donc 36 factures qui sont envolées à jamais (très très frustrant), et avec elles, une partie de mon calme. Mon besoin de complétude était directement attaqué.

Fichiers/dossiers organisés

C’est un total de 45 heures de travail qui, encore une fois, m’a fait un grand bien. J’étais très concentré sur cette tâche et me suis senti soulagé. Réduire le nombre de photos, c’était réduire une charge liée à tout ce que je considérais inutile. Je ressentais un silence mental, comme si j’avais complété un puzzle. Finalement, cette forme de stimming cognitif est étroitement liée au stimming plus sensoriel. Classer des fichiers implique un traitement visuel, les nommer exploite le verbal.

🧠 TL;DR : Retenir l’essentiel

  • Trier mes fichiers, photos, documents pendant des heures pour me vider la tête.
  • Renommer, organiser, classifier avec une précision extrême (ex. cloud, factures, visages).
  • Supprimer l’inutile → sentiment de soulagement et d’ordre intérieur.
  • Revoir mes collections (films, musiques, écrits) pour retrouver des patterns familiers.
  • Répéter mentalement ou restructurer des idées comme on joue avec un puzzle.

Mes stims ne sont pas des parasites : ce sont mes outils, mon langage et mon équilibre.

By Florent

Flo, developer and film enthusiast. Autistic and bipolar, I share my cycles, passions, and discoveries about neurodiversity here.

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