Marchant dans la rue avec mon casque et mes lunettes de soleil

Récemment, je me suis rendu à la MDPH dans un département qui avait subi une cyber-attaque qui leur avait fait perdre tous leurs dossiers électroniques. La salle était remplie et bruyante. Instinctivement, j’ai donc remis mes lunettes de soleil. Ça a surpris mon conseiller, mais fait rire ma mère, qui a compris le processus. C’était un moyen de compenser. Il fallait que je puisse entendre mon numéro pour me rendre au guichet, puis que j’entende mon conseiller. Le port du casque à réduction de bruit m’était donc impossible. J’ai donc eu recours à mes lunettes de soleil pour maximiser la réduction non pas du bruit sonore, mais du bruit global perçu par mon cerveau. 

📋 TL;DR : En bref

  • Réduire un sens = soulager tous les autres.
  • Mes “armes” : lunettes, casque, bouchons.
  • Pas une excentricité, mais une stratégie vitale.

En plus du bruit, le lieu était infesté de personnes au parfum trop envahissant. Je trouve d’ailleurs l’odeur du parfum trop forte tout aussi désagréable que n’importe quelle autre source jugée gênante (transpiration, urine dans le métro). De toute façon, la salle était trop lumineuse. Les lunettes ont donc servi à réduire la seule source de bruit que je pouvais. 

Ce qui a fait sourire ma mère, c’est qu’elle était déjà bien rodée sur le sujet de l’autisme, après m’avoir entendu en parler probablement des heures. Elle a compris immédiatement la logique sous-jacente, qui échapperait à celle d’un alliste. Pourtant, beaucoup de personnes autistes ont recours aux mêmes processus : mettre sa capuche, fermer les yeux, baisser la lumière. Autant de choses auxquelles j’ai recours pour limiter la casse. Elles ne bloquent pas le son, mais elles réduisent le chaos total qui nous entoure quand le stimming ne suffit plus.

Chaos sensoriel vs calme (avec casque et lunettes de soleil)

Les stratégies de compensation sensorielle sont souvent mises en place automatiquement. Je n’ai pas pensé à l’impact du casque lorsque je l’ai essayé la première fois, j’en ai simplement perçu sa fonction protectrice. C’est d’ailleurs la première chose que j’ai achetée lors de mon arrivée à Paris, lorsque je me suis retrouvé débordé par le chaos du métro parisien, que j’allais devoir emprunter quotidiennement. Le casque et mes lunettes de soleil sont aujourd’hui mes armées préférées pour naviguer dans un monde qui n’a pas été façonné pour mon fonctionnement. 

Mes solutions de compensation

Le casque à réduction de bruit active

Au départ, dès que j’ai eu mon premier smartphone, j’ai porté des écouteurs pour voyager dans les bus scolaires. C’est d’ailleurs là que j’ai créé mes playlists que j’écoute encore en boucle aujourd’hui. Double fonction : protection et régulation sensorielle, en couvrant la surcharge et en bouclant sur des musiques que je connais, donc prévisibles.

Arrivé à Paris, j’ai acheté mon premier casque on-ear (coussinets sur les oreilles), j’en aimais la sensation et son volume était encore plus agressif que mes écouteurs pour étouffer les sons extérieurs, mais c’était encore imparfait.

En 2017, j’ai acheté mon premier casque over-ear (qui englobe les oreilles) à réduction de bruit active. La réduction passive à elle seule était déjà suffisante mais sa fonction active m’est devenue salvatrice. En cas de surcharge, plus besoin d’allumer la musique : simplement de porter le casque. Le reste du temps, musique et réduction active permettent d’annuler presque complètement les bruits environnants.

Mes AirPods Max, à réduction de bruit active
Mes AirPods Max, à réduction de bruit active

Lorsque je suis seul, j’ai toujours mon casque sur les oreilles, musique à fond, pour réduire au maximum le bruit alentour, quitte à abîmer un peu mon ouïe au passage (j’ai fait un test avec une application calibrée sur mes AirPods, les 100 dB agressifs dans mes oreilles n’ont pas eu trop d’impact visiblement, ouf !). Lorsque je suis accompagné, j’ai des bouchons d’oreilles, les Loop Experience, qui fonctionnent plutôt bien pour réduire le volume et permettre d’entendre les voix proches.

Les lunettes de soleil

Partout où je peux et depuis tout petit, je porte des lunettes de soleil. C’est le seul de mes sens qui n’a pas évolué dans le temps : je suis resté extrêmement sensible à la lumière du soleil, aux reflets sur le métal (voitures) de tout temps. Ou presque, car il m’arrive de n’y être tellement plus sensible que j’aimerais prendre un bain de soleil en sortant à l’extérieur.

Devinez quoi, c’est généralement le premier signe qu’un épisode maniaque a démarré.

Lunettes de soleil couvrant le bruit
Lunettes de soleil couvrant le bruit sensoriel

Le reste du temps, je suis toujours équipé de mes lunettes de soleil et n’hésiterai pas à faire demi-tour si je les oublie. Je les ai perdues une fois et ai dû trouver une parade : marcher tête baissée. Je le fais habituellement de toute façon mais là, il me fallait jouer de plisser les yeux régulièrement. Chaque passage piéton — qui reflète violemment la lumière — me déclenche une vive réaction. La solution fut donc d’aller me procurer de nouvelles lunettes rapidement.

Lors du passage du permis de conduire, alors que je n’étais pas diagnostiqué, j’ai expliqué que j’étais trop sensible. L’examinateur a été « tolérant » en me demandant de les retirer quelques minutes pour qu’il regarde si je faisais mes vérifications. Ces premières minutes, de journée très ensoleillée, furent très longues. Avec un certificat médical, j’y aurais échappé, ce que la MDPH peut aujourd’hui reconnaître.

L’odorat, le sens des enfers

C’est le seul sens pour lequel je n’ai aucune parade qui ne semble pas bizarre (si on oublie l’image du bonhomme à lunettes de soleil, casque, qui regarde le sol et s’est en même temps comme un T-Rex dans la rue). Personne n’a encore inventé de masque filtrant et je ne pourrais de toute façon pas le porter, étant encore plus sensible au toucher qu’à l’odorat. 

Respirant par la bouche
Respirant par la bouche dans un lieu trop odorant

J’ai alors trois techniques quand je me retrouve envahi : quitter la pièce, faire de l’apnée (technique semi-efficace puisqu’elle provoque l’évanouissement si elle est trop longue, satané corps !), et respirer la bouche ouverte. C’est ce dernier que j’effectue la plupart du temps. Ça en trouble certains qui sont dégoûtés à l’idée d’avaler des odeurs trop fortes — dont une amie à moi. 

Réguler les sensations tactiles

Celui-ci a évolué avec l’âge, plus ou moins. J’ai été sensible aux légers touchers très tôt et le suis resté, au point que l’idée même d’effleurer un genou me bloque totalement. La bise, désagréable. Le câlin pendant des années, impossible. À force que certains amis me fassent des câlins et un jour dans un état de conscience altéré, ma perception du câlin a changé. Je suis toujours incapable d’en faire à presque tout le monde sauf à trois amis qui ont outrepassé ma barrière sensorielle.

Comment ? En me serrant fort plutôt qu’en m’étreignant. C’est le paradoxe que vivent beaucoup d’autistes. Une caresse semble désagréable alors qu’une pression est confortable, comme l’a souvent évoqué Temple Grandin. C’est ainsi que pendant toute mon adolescence, je préférais porter des vêtements serrés. Aujourd’hui, je les préfère amples. Un t-shirt au col trop serré m’empêchera de me concentrer jusqu’à ce que je le retire. 

Refus d'un câlin

Pour limiter au plus les désagréments liés à cette hypersensibilité, je n’ai donc rien trouvé d’autre que de me vêtir autrement pour m’y adapter. Et je reste à l’affût de la moindre personne qui me touche dans le métro, ce qui est souvent une forte source de surcharge. 

Compensation par sens

📋 TL;DR : En bref

  • Auditif → écouteurs / casque on-ear / casque over-ear / bouchons → ça pourrait devenir une petite liste chronologique.
  • Visuel → lunettes / marcher tête baissée / plisser les yeux.
  • Olfactif
    1. Quitter la pièce.
    2. Faire de l’apnée.
    3. Respirer par la bouche.
  • Tactile → vêtements serrés / vêtements amples / éviter la bise / câlins forts seulement avec certaines personnes.

Recours aux autres instruments de protection

C’est là qu’entrent en jeu les autres formes de protection : un métro bondé ? Le casque sur les oreilles et les lunettes de soleil. Finalement, c’est une charge sensorielle globale qui est problématique chez beaucoup d’autistes. Ça échappera à la logique allistique mais c’est pourtant ce qui conduit beaucoup d’autistes à la surcharge, puis éventuellement à la crise autistique si la charge n’est pas contenue à temps.

Le but de cet article, c’est d’expliquer qu’en diminuant une modalité sensorielle, on soulage l’ensemble. On régule le curseur. Et donc on rééquilibre la charge et on prévient le risque de surcharge. Dans mon cas, c’est mon handicap le plus important car il est quotidien, il démarre dès que je sors de chez moi. Ou même en intérieur lorsque je suis déjà surchargé et que le bruit de mon frigo ou des multiprises m’empêche de diminuer cette charge.

Ma bulle sensorielle
Le casque et les lunettes comme bulle sensorielle

Ce n’est donc pas que je confonds mes sens, c’est qu’ils interagissent entre eux et que je jongle avec eux pour réguler une charge. Charge qui ne s’arrête réellement que lorsque je suis au calme ou en train de dormir. Ce n’est pas une addition de petits gadgets, c’est une stratégie de survie sensorielle. Chaque accessoire n’agit pas seul, il permet de rééquilibrer un système entier.

By Florent

Flo, developer and film enthusiast. Autistic and bipolar, I share my cycles, passions, and discoveries about neurodiversity here.

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